À propos

Vues de Jeanne Bacharach

 

 

Colline Henry tend et tisse sur la page blanche des traits qui se font lignes, aventures de lignes, parallèles, obliques, diagonales, qui s’entrecroisent, soudain perpendiculaires.

 

Lignes de fuite vers un ailleurs que l’on pressent et que l’on ressent quelque part, au-delà du cadre. Lignes vers des voyages, elles dessinent des constellations. Elles se tracent et se comptent, en chiffre et en mots, se répondent par des formules que l’on imagine magiques. Elles s’aventurent, symétriques jusqu’à un certain point puis tout à coup se dérobent.

 

Lignes de vie, elles dévoilent ensemble une cartographie de rêve, géométrique mais toujours instable, régulière mais soudain au bord du déséquilibre. S’ouvrent alors sous ces symétries remuantes de nouveaux espaces. Les carrés et les triangles flottent sur la page en ilots et forment ensemble des territoires imaginaires ouverts à l’inconnu, l’inédit. Rouges, orange, bleus, les formes infiniment s’animent par la répétition. Partition musicale, elles jouent et travaillent un laisser-faire d’équilibriste. L’imprévu, l’accident s’immiscent alors et d’autres images émergent soudain, gravées, fixées, appliquées, mais toujours mobiles.

 

 

On s’y perd, on y plonge, on y flotte, on s’y élève. De bas, en haut, du dehors au dedans et vice versa. Colline Henry traverse l’espace par ses lignes en tous sens. On s’aventure soi-même, spectateur, regardeur, soudain acteur entre les formes qui nous apparaissent peu à peu pour disparaître aussitôt : gratte-ciels, étoiles, mais aussi cailloux, minéraux, végétaux que l’on imagine au ras du sol, écorces d’un bois, strates d’un épiderme qui s’écaille. Aventure du regard qui s’enivre de près et de loin, entre surface et profondeur cherchant à se saisir au creux du mouvement perpétuel d’une image.

 

 

Toujours les formes éclatent. Colline Henry, par le dessin, la gravure et la peinture, semble les ouvrir, les déployer, et offrir au dehors un intérieur tenu secret jusqu’alors. Comme l’on ouvre une fleur, un fruit ou une roche et que se découvrent dans cette ouverture un motif, une image du dedans, saisissante dans sa régularité imparfaite. L’éclat de la forme parfois se fond dans l’encre, dans le bain de la gravure qui la recouvre et la menace. Le noir et le gris s’imposent, au-delà de la ligne, jouant avec elle une nouvelle aventure de contraste.

 

 

Dans ces éclats d’étoiles, de cubes, de cercles d’où surgissent parfois des derviches tourneurs aussitôt évanouis, un rythme s’impose et nous emporte dans un atlas imaginaire, recueil de cartes diffractées entre les pages que l’on regarde, que l’on tourne, que l’on rêve.

 

Jeanne Bacharach

 

Juin 2019

 

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Septembre 2011

Lettre à Arturo

 

Je suis où ?

Bonne question Arturo !

Je suis peut-être ce petit point au milieu de ce grand labyrinthe.

 

Derrière moi, une route, qui a tourné, tourné, et tourné encore.

A-t-elle fait un tour complet ? 

Autour de cette route, une autre route qui la croise sans cesse, à intervalles réguliers. A elles deux, elles forment une étoile à neuf branches. Et pour les entourer, les croiser et les contenir, deux autres routes à intervalles réguliers qui créent elles aussi une étoile à 9 branches. 

Et autour de ces quatre routes qui s’entremêlent, encore deux routes qui se croisent encore à intervalles réguliers et qui forment elles aussi une étoile à neuf branches. Plus grande, plus fine. 

Dans ces routes, quelques maisons, où l’on peut se reposer parfois. Mais toutes sont encerclées par de grands yeux qui trônent aux extrémités de feuilles dorées. Des maisons claires, des maisons sombres.

 

Quand sort-on du labyrinthe circulaire ?

Quand reconnait-on être déjà passé par le même endroit ? 

A quel moment accède t-on aux routes de l’étoile voisine ? Celle dont les chemins, plus larges, croisent une autre route à intervalles réguliers pour former une étoile à six branches ?

 

Lorsque, petit point du dessin, tu es sorti de la route, en croisant celles qui t’entouraient, en croisant un grand vide noir, en croisant encore une autre route, et une maison blanche, que tu as été sur les feuilles, que tu as atteint l’un des yeux qui t’observent. Là, alors, tu peux aller sur l’autre route qui jouxte celle-ci. Une route plus simple, plus large. Une avenue pourquoi pas. Tout autour, des larges feuilles protègent et empêchent de tomber.

 

 

Bref, où suis-je ?

Je crois que j’arrive à l’un de ces yeux. Ceux qui observent ces routes. Ceux qui observent ces points qui, en réalité, ne se promènent pas sur ces routes mais les constituent.

Ou peut-être ne suis-je pas ce point ?

Et si je collais tous les tableaux ? Les routes se rencontreraient ?

 

 

Je ne suis même pas sûre de savoir comprendre ce que j’ai écrit. Mais ça viendra, j’en suis sûre.

Je suis un peu fatiguée ce soir, mais demain ça ira mieux.

Comment vas-tu, toi ?

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